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Aujourd’hui, nous sommes avec Claire Bartet. Claire tu as 25 ans, tu as une formation de juriste et tu travailles aujourd’hui pour le service jésuite des réfugiés (JRS), dans un programme Ruralité dans le Limousin. Ton enthousiasme à faire le lien entre ces personnes exilées et les agriculteurs et agricultrices est aussi le résultat d’une conversion écologique, est ce que tu pourrais nous en retracer un peu le parcours ?
Alors j’ai vécu dans une famille heureuse, nombreuse, où j’ai eu la chance d’avoir des parents qui s’émerveillaient facilement et de tout. J’ai un papa qui est forestier et un grand père aussi, un autre grand-père ornitho, et j’ai fait beaucoup de scoutisme et j’ai habité longtemps à la campagne. Donc la nature était pour moi très familière. Je n’étais pas forcément au courant de tous les impacts de ce que je faisais dans la vie. Pas vraiment consciente de la crise qu’on vit en ce moment. Mais j’étais sensible, en tout cas, et j’avais à cœur de passer du temps simplement dans la nature qui me ressourçait. Et c’est au moment où j’ai fait mes études supérieures que j’ai un peu plus pris le temps de comprendre ce qu’on était en train de vivre, de mettre des mots dessus, de me former. Donc c’était un premier pas dans ma conversion écologique. Le deuxième a été le confinement de 2020. J’ai eu la chance de me confiner avec des chouettes amis qui sont très engagés au niveau écolo et qui nous ont beaucoup, nous autres, moins connaisseurs et moins adeptes, qui nous ont beaucoup formés, beaucoup expliqués, qui nous ont partagé plein de choses, que eux vivaient dans des lieux dans lesquels ils s’engageaient, qui nous ont fait des fresques du climat, qui nous ont parlé des soirées entières de leur engagement, et c’était une deuxième étape dans ma conversion écologique. D’un point de vue intellectuel, j’ai pris conscience de tout ce qu’on vivait, sans dramatiser, sans avoir peur et sans être en colère, simplement en étant beaucoup plus lucide et en ayant plus envie d’œuvrer et d’agir. La troisième étape a été à un moment, un peu plus tard, pendant ce confinement, où un agriculteur du coin, on était en à côté de Vesoul, en Haute-Saône, un agriculteur d’à côté, qui avait une ferme qui produisait du maïs ancien, nous avait demandé de l’aider. Ou plutôt on lui avait proposé de l’aider pour ramasser un hectare de maïs à la main. Donc, on s’est retrouvé avec quatre copains, tous alignés pendant une journée avec des gants, un bonnet, parce qu’il faisait très, très froid à ramasser du maïs qui était complètement couché à terre. Et là, pendant cette journée, j’ai pris conscience de qui il était, quelle est la vie des personnes qui nous nourrissent de cette agriculture ? Quelle est leur famille ? Les charges financières qu’ils ont et qui sont énormes par rapport à ce qu’ils vivent. Toutes les injonctions qu’on peut leur faire sur la manière de nous nourrir, sur la manière de produire. Beaucoup d’empathie pour cette personne-là qui s’appelle Laurent. Et du coup, pour tous ceux qui ont le même métier. C’était une vraie prise de conscience, une dernière étape pour unifier tout ça, tout ce que je vivais au niveau intellectuel, humain. Et c’était riche. Et aujourd’hui, je travaille donc pour le programme Ruralité dans le service jésuite pour les réfugiés dans le Limousin et je rencontre quotidiennement ou en tout cas chaque semaine, des acteurs du monde rural. Ça peut être des familles, des agriculteurs qui sont dans des fermes bio du coin. Je prends du temps avec eux et avec des personnes exilées. Et c’est aussi des vrais temps de rencontre où je prends conscience de ce qu’ils vivent. Je me rends compte qu’on a besoin d’eux, que leur travail est magnifique, que sans eux, on ne serait rien. Et voilà, ça vient compléter, alimenter, nourrir toutes les idées que je peux avoir, que je peux me faire sur sur l’écologie, sur le monde, sur la manière de me nourrir, d’agir, de m’engager. Ça vient unifier tout. Et voilà, ça me donne beaucoup de joie.
Quand tu es revenue du confinement tu as repris ta vie urbaine, tu étais à l’époque stagiaire au HCR, comment, est-ce que tu as réussi à intégrer cette nouvelle sensibilité écologique à ta vie quotidienne ?
Je me suis tout de suite demandé est ce que les actions que j’avais étaient cohérentes avec ce à quoi j’avais goûté, ce que j’avais vécu pendant ce confinement, je prenais conscience du fait que la manière dont je consommais avait un poids énorme sur le monde et sur ce qui m’entourait. Quand j’achetais quelque chose de complètement industriel dans un magasin de grande surface, c’était quelque chose qui venait tuer à petit feu cet agriculteur que j’avais rencontré.
J’ai essayé de mettre en relation et en adéquation ce en quoi je croyais, ce en quoi j’avais vraiment des grandes convictions et la manière dont j’agissais au quotidien, dans mes transports, dans ma manière de consommer, dans ma manière d’agir en tant que citoyenne. Petit à petit, et c’est toujours le cas parce qu’on n’en a jamais fini, j’ai essayé de trouver la manière de respecter ceux qui nous nourrissent, en tout cas, c’était mon point d’entrée, et cette terre depuis Paris, alors que c’était une vie très urbaine.
Il y a des habitudes que tu avais que tu as dû changer, est-ce qu’autour de toi il y a des personnes qui ont réagi avec beaucoup d’incompréhension ? Je pouvais les comprendre parce que j’avais vécu cette période de confinement et cette période de rencontre. Je pense qu’il faut insister sur ce mot parce que c’est pour moi ça qui change tout dans la manière de voir le monde. La rencontre, J’avais vécu cette rencontre et je pouvais me rendre compte du fait que c’était élémentaire, que c’était nécessaire. Ce n’était pas du tout du dolorisme, Ce n’était pas du tout des contraintes mises, des limites ou un cadre dans ce que je pouvais vivre parce que je me demandais quand je me balade dans la rue, Est ce que j’ai besoin de ce que je vois et qui m’attire parce que ça pousse à la consommation ? Est-ce que j’en ai besoin ou est-ce que j’en ai envie ? Est-ce que ça me rendra heureuse ou est-ce que je serai simplement plus contente ? Alors on va revenir un peu sur ton travail avec JRS ruralité, où tu mets très concrètement en relation des personnes exilées et le monde rural, en particulier des agriculteurs et agricultrices…quelles ont été les premières prises de consciences quand tu as démarré cette mission ? Je me rendais compte qu’on pouvait avoir, en tant que urbains et déconnectés du monde rural, beaucoup de projections à la fois sur les acteurs du monde rural et sur les personnes exilées, en se disant : il y a du besoin de main d’œuvre du côté agricole par exemple, et il y a des personnes qui sont en demande de parler français, de travailler, d’être efficaces, d’être utile à notre société, de rencontrer, de découvrir notre culture. On peut peut-être remplir ce trou là en embauchant telle ou telle personne exilée. Et c’est des projections qu’on peut avoir à tort sur ces personnes-là. Et il faut, je pense, repartir de la base en se demandant si cette personne a vraiment envie de travailler dans le monde agricole qui est un monde rude, ingrat. C’est un travail ingrat. Est-ce que cette personne a vraiment envie de ça ? Est ce qu’elle sent qu’elle peut s’épanouir là-dedans ? Est-ce que ce n’est pas une projection que j’ai sur elle. Tu restes convaincue de cette alliance entre exilés et agriculteur et agricultrices, qu’est ce que tu trouve inspirant dans cette rencontre ? Le fait d’être à la campagne, dans un territoire rural et agricole, par exemple, quand on va découvrir une ferme pendant une journée, qu’on va aider un agriculteur à la cueillette de ses légumes, qu’on va l’aider à pailler ses artichauts ou à déplacer ses tuyaux d’eau dans son champ. Le fait de partager son quotidien et son travail avec des personnes qui viennent de l’autre bout du monde et qui ont parfois fui leur pays pour des raisons climatiques, ça peut être de manière très directe dans des territoires très arides, avec vraiment des bouleversements climatiques, environnementaux, ou bien de manière très indirecte, parce que la crise climatique entraîne d’autres crises géopolitiques, économiques, et cetera. C’est beau et c’est très parlant de pouvoir prendre ce temps avec ces personnes, ces acteurs du monde rural et ces personnes exilées. Comme si la boucle était bouclée ou comme si on retrouvait l’unité. Comme si on reprenait conscience du fait que on a tous notre part à prendre dans la protection de cette création que le Seigneur nous donne.
Cette semaine, on se penche sur l’évangile de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Est-ce que toi, tu vois des parallèles entre cette page des Évangiles et ton engagement ? Oui, il y a trois choses qui m’a marqué dans cette dans cet évangile. La première, c’est que, à deux reprises, Jésus nous parle de l’eau et de la nourriture. Il nous dit « Celui qui boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ». Et une autre phrase au verset 32 « Pour moi, j’ai de quoi manger cette nourriture que vous ne connaissez pas ». Et ça m’amène à me demander est ce que je me nourris et je m’abreuve de la bonne manière, d’une manière juste et saine ? D’abord d’un point de vue très concret, physiologique : Est-ce que ce que je mange est sain, de manière sociale : est-ce que je respecte l’homme qui me nourrit ? Laurent ou plein d’autres agriculteurs ? Est-ce que c’est une manière écologiquement juste et saine ? Est-ce que je respecte la nature et la création en mangeant de telle nourriture ou pas, et aussi d’un point de vue relationnel ou spirituel : Est-ce que je m’abreuve à la bonne source ? Est-ce que je ne me trompe pas dans la manière de grandir et de m’élever, d’agir ? Est-ce que je me tourne vers le bon robinet pour puiser de mon eau, vers le bon puits ? Le deuxième point, c’est en imaginant la scène, je me demandais : Est-ce que j’arrive à me mettre à la place de ses disciples qui jugent quand Jésus parle à la Samaritaine ? Est-ce que moi aussi, je n’ai pas tendance, parfois, à avoir des préjugés sur certaines personnes, même si on travaille dans le milieu de l’accueil de l’asile ? Voilà, on part tous avec nos a prioris, nos idées fausses, parce que on n’est pas jusqu’au bout de la rencontre. Je continue d’insister là-dessus sur cette rencontre. Est-ce que je n’ai pas des préjugés en me disant que telle personne parle moins bien français ? Telle personne ne veut pas s’intégrer, telle personne reste trop dans son coin avec sa communauté. Est-ce que j’adopte vraiment le regard de Dieu en ayant cette parole-là et en ayant cette pensée-là ? Est-ce que le Seigneur n’a pas quelque chose à me dire là-dedans en me disant mais en fait, va lui parler parce qu’elle a des choses à dire et a des choses à lui dire aussi. J’avais un dernier point, le verset 42, où Jésus nous dit « Ce n’est plus à cause de ce que tu dis que nous croyons » Non, pardon, ce n’est pas Jésus, c’est les personnes qui sont avec lui, qui disent « ce n’est plus à cause de ce que tu dis que nous croyons, nous-mêmes nous l’avons entendu » et je reparle encore une fois de la rencontre, de cette importance de la rencontre. Parce qu’en fait, on a beau nous se dire c’est important de prendre soin de la création, que le Seigneur nous demande ça et nous confie cette terre, c’est important d’accueillir. C’est important d’être en lien avec ceux qui viennent de l’autre bout du monde et de faire corps tous ensemble. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas le comprendre jusqu’au bout. Et on ne peut pas comprendre le message de Jésus jusqu’au bout. Il faut goûter à ça. Plus à cause de ce que tu dis que nous croyons nous mêmes. Nous l’avons entendu. Je l’entends pour moi comme c’est plus parce que j’ai lu des articles sur tout ça, que maintenant je sais, c’est plus parce que j’ai entendu parler de ça, j’ai entendu des témoignages, j’ai écouté la radio, je me suis informée intellectuellement. C’est à partir du moment où j’ai goûté, où j’ai partagé le quotidien de cet agriculteur, où j’ai pris du temps très gratuit avec cette dame qui vient du Burkina et où j’ai passé une journée à la campagne avec cette personne qui vient de l’autre bout du monde et cette personne qui vient du village d’à côté. À partir de ce moment-là, j’ai compris que c’était important et je veux prendre soin de ces relations humaine, je veux prendre soin celui qui est à côté de moi, je veux prendre soin de la terre. C’est peut-être ça qui est spécifique dans une conversion écologique qui vient me chercher à l’intérieur et pas seulement de manière abstraite.
Est-ce que tu peux nous partager du coup, une question qui te fait avancer ? Qui t’a mis en route et peut être qui peut encore aujourd’hui ? Oui, la question qui m’anime, qui vient me chercher, c’est toujours celle de savoir si je suis cohérente : cohérente entre ce en quoi je crois, le fait de prendre soin de préserver cette terre qui nous est donnée et ses frères qui nous sont donnés, et ce que je fais au quotidien. Entre ce que je dis et ce que je fais, parce que je peux avoir toute la foi du monde et toute la bonne volonté et des paroles aussi très engagées, c’est toujours un challenge et c’est toujours quelque chose qui vient nous rattraper et donc voilà me demander est ce que je suis cohérente ? Ça vient me chercher dans mon engagement de chaque jour.
On sent que ta foi dans le Christ est assez présente dans ton engagement même si on en a parlé peu parlé. Est-ce que tu as un verset chrétien qui nourrit ton engagement au jour le jour ? Il y a un verset qui m’anime beaucoup qui est celui que nous dit saint Paul dans la Lettre aux Colossiens au chapitre trois, il nous dit « Et par-dessus tout, ayez l’amour qui est le lien le plus parfait. Et qu’en vos cœurs règnent, la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps ». Ça vient me demander est ce que j’ai de l’amour pour cette terre ? Parce qu’en fait, elle est aussi vivante que toi et moi ? Est-ce que j’ai de l’amour pour la création au-delà de pour la personne qui est en face de moi ? Est-ce que je peux comprendre l’amour comme au-delà de l’amour humain ? Et puis la question de la paix : « et qu’en vos cœurs règne la paix du Christ » la paix avec nous-mêmes, la paix avec nos frères les plus lointains, ceux qui viennent, ces exilés que je rencontre, la paix avec nos frères qui sont, qui arriveront après, les autres générations, la paix avec la création. Et puis ce dernier mot : « Vous qui formez un seul corps ». Ben oui, en fait on forme un seul corps avec le monde., avec cette terre, on n’est pas deux entités séparées, Tout est lié. Et voilà, trouver cet amour au-delà de l’amour humain.
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Chaque semaine de cette retraite de Carême. Nous rencontrons une personne inspirante qui nous raconte son parcours de conversion écologique. Nous cherchons aussi à comprendre en quoi sa foi chrétienne soutient son engagement pour un monde plus juste et plus respectueux de la terre et de ses habitants Ecoutons d’abord, puis prenons un temps d’intériorité pour laisser son témoignage faire écho en nous.
Aujourd’hui, nous sommes avec Claire Bartet. Claire tu as 25 ans, tu as une formation de juriste et tu travailles aujourd’hui pour le service jésuite des réfugiés (JRS), dans un programme Ruralité dans le Limousin. Ton enthousiasme à faire le lien entre ces personnes exilées et les agriculteurs et agricultrices est aussi le résultat d’une conversion écologique, est ce que tu pourrais nous en retracer un peu le parcours ?
Alors j’ai vécu dans une famille heureuse, nombreuse, où j’ai eu la chance d’avoir des parents qui s’émerveillaient facilement et de tout. J’ai un papa qui est forestier et un grand père aussi, un autre grand-père ornitho, et j’ai fait beaucoup de scoutisme et j’ai habité longtemps à la campagne. Donc la nature était pour moi très familière. Je n’étais pas forcément au courant de tous les impacts de ce que je faisais dans la vie. Pas vraiment consciente de la crise qu’on vit en ce moment. Mais j’étais sensible, en tout cas, et j’avais à cœur de passer du temps simplement dans la nature qui me ressourçait. Et c’est au moment où j’ai fait mes études supérieures que j’ai un peu plus pris le temps de comprendre ce qu’on était en train de vivre, de mettre des mots dessus, de me former. Donc c’était un premier pas dans ma conversion écologique. Le deuxième a été le confinement de 2020. J’ai eu la chance de me confiner avec des chouettes amis qui sont très engagés au niveau écolo et qui nous ont beaucoup, nous autres, moins connaisseurs et moins adeptes, qui nous ont beaucoup formés, beaucoup expliqués, qui nous ont partagé plein de choses, que eux vivaient dans des lieux dans lesquels ils s’engageaient, qui nous ont fait des fresques du climat, qui nous ont parlé des soirées entières de leur engagement, et c’était une deuxième étape dans ma conversion écologique. D’un point de vue intellectuel, j’ai pris conscience de tout ce qu’on vivait, sans dramatiser, sans avoir peur et sans être en colère, simplement en étant beaucoup plus lucide et en ayant plus envie d’œuvrer et d’agir. La troisième étape a été à un moment, un peu plus tard, pendant ce confinement, où un agriculteur du coin, on était en à côté de Vesoul, en Haute-Saône, un agriculteur d’à côté, qui avait une ferme qui produisait du maïs ancien, nous avait demandé de l’aider. Ou plutôt on lui avait proposé de l’aider pour ramasser un hectare de maïs à la main. Donc, on s’est retrouvé avec quatre copains, tous alignés pendant une journée avec des gants, un bonnet, parce qu’il faisait très, très froid à ramasser du maïs qui était complètement couché à terre. Et là, pendant cette journée, j’ai pris conscience de qui il était, quelle est la vie des personnes qui nous nourrissent de cette agriculture ? Quelle est leur famille ? Les charges financières qu’ils ont et qui sont énormes par rapport à ce qu’ils vivent. Toutes les injonctions qu’on peut leur faire sur la manière de nous nourrir, sur la manière de produire. Beaucoup d’empathie pour cette personne-là qui s’appelle Laurent. Et du coup, pour tous ceux qui ont le même métier. C’était une vraie prise de conscience, une dernière étape pour unifier tout ça, tout ce que je vivais au niveau intellectuel, humain. Et c’était riche. Et aujourd’hui, je travaille donc pour le programme Ruralité dans le service jésuite pour les réfugiés dans le Limousin et je rencontre quotidiennement ou en tout cas chaque semaine, des acteurs du monde rural. Ça peut être des familles, des agriculteurs qui sont dans des fermes bio du coin. Je prends du temps avec eux et avec des personnes exilées. Et c’est aussi des vrais temps de rencontre où je prends conscience de ce qu’ils vivent. Je me rends compte qu’on a besoin d’eux, que leur travail est magnifique, que sans eux, on ne serait rien. Et voilà, ça vient compléter, alimenter, nourrir toutes les idées que je peux avoir, que je peux me faire sur sur l’écologie, sur le monde, sur la manière de me nourrir, d’agir, de m’engager. Ça vient unifier tout. Et voilà, ça me donne beaucoup de joie.
Quand tu es revenue du confinement tu as repris ta vie urbaine, tu étais à l’époque stagiaire au HCR, comment, est-ce que tu as réussi à intégrer cette nouvelle sensibilité écologique à ta vie quotidienne ?
Je me suis tout de suite demandé est ce que les actions que j’avais étaient cohérentes avec ce à quoi j’avais goûté, ce que j’avais vécu pendant ce confinement, je prenais conscience du fait que la manière dont je consommais avait un poids énorme sur le monde et sur ce qui m’entourait. Quand j’achetais quelque chose de complètement industriel dans un magasin de grande surface, c’était quelque chose qui venait tuer à petit feu cet agriculteur que j’avais rencontré.
J’ai essayé de mettre en relation et en adéquation ce en quoi je croyais, ce en quoi j’avais vraiment des grandes convictions et la manière dont j’agissais au quotidien, dans mes transports, dans ma manière de consommer, dans ma manière d’agir en tant que citoyenne. Petit à petit, et c’est toujours le cas parce qu’on n’en a jamais fini, j’ai essayé de trouver la manière de respecter ceux qui nous nourrissent, en tout cas, c’était mon point d’entrée, et cette terre depuis Paris, alors que c’était une vie très urbaine.
Il y a des habitudes que tu avais que tu as dû changer, est-ce qu’autour de toi il y a des personnes qui ont réagi avec beaucoup d’incompréhension ? Je pouvais les comprendre parce que j’avais vécu cette période de confinement et cette période de rencontre. Je pense qu’il faut insister sur ce mot parce que c’est pour moi ça qui change tout dans la manière de voir le monde. La rencontre, J’avais vécu cette rencontre et je pouvais me rendre compte du fait que c’était élémentaire, que c’était nécessaire. Ce n’était pas du tout du dolorisme, Ce n’était pas du tout des contraintes mises, des limites ou un cadre dans ce que je pouvais vivre parce que je me demandais quand je me balade dans la rue, Est ce que j’ai besoin de ce que je vois et qui m’attire parce que ça pousse à la consommation ? Est-ce que j’en ai besoin ou est-ce que j’en ai envie ? Est-ce que ça me rendra heureuse ou est-ce que je serai simplement plus contente ? Alors on va revenir un peu sur ton travail avec JRS ruralité, où tu mets très concrètement en relation des personnes exilées et le monde rural, en particulier des agriculteurs et agricultrices…quelles ont été les premières prises de consciences quand tu as démarré cette mission ? Je me rendais compte qu’on pouvait avoir, en tant que urbains et déconnectés du monde rural, beaucoup de projections à la fois sur les acteurs du monde rural et sur les personnes exilées, en se disant : il y a du besoin de main d’œuvre du côté agricole par exemple, et il y a des personnes qui sont en demande de parler français, de travailler, d’être efficaces, d’être utile à notre société, de rencontrer, de découvrir notre culture. On peut peut-être remplir ce trou là en embauchant telle ou telle personne exilée. Et c’est des projections qu’on peut avoir à tort sur ces personnes-là. Et il faut, je pense, repartir de la base en se demandant si cette personne a vraiment envie de travailler dans le monde agricole qui est un monde rude, ingrat. C’est un travail ingrat. Est-ce que cette personne a vraiment envie de ça ? Est ce qu’elle sent qu’elle peut s’épanouir là-dedans ? Est-ce que ce n’est pas une projection que j’ai sur elle. Tu restes convaincue de cette alliance entre exilés et agriculteur et agricultrices, qu’est ce que tu trouve inspirant dans cette rencontre ? Le fait d’être à la campagne, dans un territoire rural et agricole, par exemple, quand on va découvrir une ferme pendant une journée, qu’on va aider un agriculteur à la cueillette de ses légumes, qu’on va l’aider à pailler ses artichauts ou à déplacer ses tuyaux d’eau dans son champ. Le fait de partager son quotidien et son travail avec des personnes qui viennent de l’autre bout du monde et qui ont parfois fui leur pays pour des raisons climatiques, ça peut être de manière très directe dans des territoires très arides, avec vraiment des bouleversements climatiques, environnementaux, ou bien de manière très indirecte, parce que la crise climatique entraîne d’autres crises géopolitiques, économiques, et cetera. C’est beau et c’est très parlant de pouvoir prendre ce temps avec ces personnes, ces acteurs du monde rural et ces personnes exilées. Comme si la boucle était bouclée ou comme si on retrouvait l’unité. Comme si on reprenait conscience du fait que on a tous notre part à prendre dans la protection de cette création que le Seigneur nous donne.
Cette semaine, on se penche sur l’évangile de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Est-ce que toi, tu vois des parallèles entre cette page des Évangiles et ton engagement ? Oui, il y a trois choses qui m’a marqué dans cette dans cet évangile. La première, c’est que, à deux reprises, Jésus nous parle de l’eau et de la nourriture. Il nous dit « Celui qui boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ». Et une autre phrase au verset 32 « Pour moi, j’ai de quoi manger cette nourriture que vous ne connaissez pas ». Et ça m’amène à me demander est ce que je me nourris et je m’abreuve de la bonne manière, d’une manière juste et saine ? D’abord d’un point de vue très concret, physiologique : Est-ce que ce que je mange est sain, de manière sociale : est-ce que je respecte l’homme qui me nourrit ? Laurent ou plein d’autres agriculteurs ? Est-ce que c’est une manière écologiquement juste et saine ? Est-ce que je respecte la nature et la création en mangeant de telle nourriture ou pas, et aussi d’un point de vue relationnel ou spirituel : Est-ce que je m’abreuve à la bonne source ? Est-ce que je ne me trompe pas dans la manière de grandir et de m’élever, d’agir ? Est-ce que je me tourne vers le bon robinet pour puiser de mon eau, vers le bon puits ? Le deuxième point, c’est en imaginant la scène, je me demandais : Est-ce que j’arrive à me mettre à la place de ses disciples qui jugent quand Jésus parle à la Samaritaine ? Est-ce que moi aussi, je n’ai pas tendance, parfois, à avoir des préjugés sur certaines personnes, même si on travaille dans le milieu de l’accueil de l’asile ? Voilà, on part tous avec nos a prioris, nos idées fausses, parce que on n’est pas jusqu’au bout de la rencontre. Je continue d’insister là-dessus sur cette rencontre. Est-ce que je n’ai pas des préjugés en me disant que telle personne parle moins bien français ? Telle personne ne veut pas s’intégrer, telle personne reste trop dans son coin avec sa communauté. Est-ce que j’adopte vraiment le regard de Dieu en ayant cette parole-là et en ayant cette pensée-là ? Est-ce que le Seigneur n’a pas quelque chose à me dire là-dedans en me disant mais en fait, va lui parler parce qu’elle a des choses à dire et a des choses à lui dire aussi. J’avais un dernier point, le verset 42, où Jésus nous dit « Ce n’est plus à cause de ce que tu dis que nous croyons » Non, pardon, ce n’est pas Jésus, c’est les personnes qui sont avec lui, qui disent « ce n’est plus à cause de ce que tu dis que nous croyons, nous-mêmes nous l’avons entendu » et je reparle encore une fois de la rencontre, de cette importance de la rencontre. Parce qu’en fait, on a beau nous se dire c’est important de prendre soin de la création, que le Seigneur nous demande ça et nous confie cette terre, c’est important d’accueillir. C’est important d’être en lien avec ceux qui viennent de l’autre bout du monde et de faire corps tous ensemble. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas le comprendre jusqu’au bout. Et on ne peut pas comprendre le message de Jésus jusqu’au bout. Il faut goûter à ça. Plus à cause de ce que tu dis que nous croyons nous mêmes. Nous l’avons entendu. Je l’entends pour moi comme c’est plus parce que j’ai lu des articles sur tout ça, que maintenant je sais, c’est plus parce que j’ai entendu parler de ça, j’ai entendu des témoignages, j’ai écouté la radio, je me suis informée intellectuellement. C’est à partir du moment où j’ai goûté, où j’ai partagé le quotidien de cet agriculteur, où j’ai pris du temps très gratuit avec cette dame qui vient du Burkina et où j’ai passé une journée à la campagne avec cette personne qui vient de l’autre bout du monde et cette personne qui vient du village d’à côté. À partir de ce moment-là, j’ai compris que c’était important et je veux prendre soin de ces relations humaine, je veux prendre soin celui qui est à côté de moi, je veux prendre soin de la terre. C’est peut-être ça qui est spécifique dans une conversion écologique qui vient me chercher à l’intérieur et pas seulement de manière abstraite.
Est-ce que tu peux nous partager du coup, une question qui te fait avancer ? Qui t’a mis en route et peut être qui peut encore aujourd’hui ? Oui, la question qui m’anime, qui vient me chercher, c’est toujours celle de savoir si je suis cohérente : cohérente entre ce en quoi je crois, le fait de prendre soin de préserver cette terre qui nous est donnée et ses frères qui nous sont donnés, et ce que je fais au quotidien. Entre ce que je dis et ce que je fais, parce que je peux avoir toute la foi du monde et toute la bonne volonté et des paroles aussi très engagées, c’est toujours un challenge et c’est toujours quelque chose qui vient nous rattraper et donc voilà me demander est ce que je suis cohérente ? Ça vient me chercher dans mon engagement de chaque jour.
On sent que ta foi dans le Christ est assez présente dans ton engagement même si on en a parlé peu parlé. Est-ce que tu as un verset chrétien qui nourrit ton engagement au jour le jour ? Il y a un verset qui m’anime beaucoup qui est celui que nous dit saint Paul dans la Lettre aux Colossiens au chapitre trois, il nous dit « Et par-dessus tout, ayez l’amour qui est le lien le plus parfait. Et qu’en vos cœurs règnent, la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps ». Ça vient me demander est ce que j’ai de l’amour pour cette terre ? Parce qu’en fait, elle est aussi vivante que toi et moi ? Est-ce que j’ai de l’amour pour la création au-delà de pour la personne qui est en face de moi ? Est-ce que je peux comprendre l’amour comme au-delà de l’amour humain ? Et puis la question de la paix : « et qu’en vos cœurs règne la paix du Christ » la paix avec nous-mêmes, la paix avec nos frères les plus lointains, ceux qui viennent, ces exilés que je rencontre, la paix avec nos frères qui sont, qui arriveront après, les autres générations, la paix avec la création. Et puis ce dernier mot : « Vous qui formez un seul corps ». Ben oui, en fait on forme un seul corps avec le monde., avec cette terre, on n’est pas deux entités séparées, Tout est lié. Et voilà, trouver cet amour au-delà de l’amour humain.
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